Me voilà en Amérique du Sud et plus précisément au Pérou. Après de nombreuses semaines à faire du vélo, je continue de consacrer du temps à l’autre objectif de ce voyage : la découverte d’initiatives d’aide aux personnes en difficulté. Au Pérou, je dédie une partie de mon séjour à cet objectif. A Huaura, une ville au nord de Lima, j’ai pu être bénévole dans un “comedor popular” (restaurant populaire). J’ai vite découvert que c’est bien plus qu’un restaurant.
Le contexte et l’origine des “comedores populares”
Dans les années 1960 et 1970, le Pérou connaît une intensification de la migration des zones rurales vers les zones urbaines, notamment à Lima la capitale. Cette migration est motivée par la perspective d’un travail en usine. Mais, à partir de 1970, les crises se succèdent et l’économie s’effondre. C’est à cette période, afin de lutter contre la faim et la pauvreté, que les “comedores populares” apparaissent.
A leur apogée, dans la seconde moitié des années 1980 et au début des années 1990, les comedores se comptaient par milliers au Pérou.
Très vite ce maillage de restaurants populaires s’organise et se regroupe afin de faire entendre leur voix et réaliser un plaidoyer à l’échelle nationale. En 1994 l’État accepte de financer le coût des rations alimentaires à hauteur de 40%.
L’apparition des “comedores populares” est donc une réponse collective et spontanée des communautés pauvres face aux difficultés rencontrées.
Le principe et le fonctionnement
Aujourd’hui ces cuisines communautaires sont créées avec l’aide de l’État, des paroisses et des organismes internationaux. Elles sont prises en charge par les femmes dans les quartiers concernés, qui en assurent l’auto-gestion.
Le principe initial était de regrouper une dizaine de familles et de réaliser une cuisine équilibrée et variée. Chaque famille apportait ensuite sa contribution en cuisinant à tour de rôle et en fournissant les ustensiles nécessaires. Les achats pouvaient donc être faits en groupe réduisant ainsi les frais. Le repas était ensuite fourni à prix coûtant. Mais il y avait aussi un caractère social avec la prise des repas ensemble.
Indirectement le partage des tâches permettait aux familles de dégager du temps, et ainsi de réaliser d’autres travaux.
Parallèlement…
En parallèle de ces “comedores populares”, d’autres activités se mettent en place. Cela se concrétise de différentes manières, par exemple par des ateliers artisanaux. Ils permettent de faciliter l’insertion professionnelle. C’est également l’émergence des garderies partagées : les “Wawa Wasi”. Elles fonctionnent sur le même principe que les “comedores populares”. Une volontaire garde jusqu’à 8 enfants à son domicile. Ces garderies sont liées à un “comedor popular” qui le petit déjeuner, le dîner et le goûter. La réduction du temps consacré aux tâches ménagères va avoir pour conséquence le développement de nombreuses activités informelles (commerce ambulant, transport…).
En 1984 le programme “Vaso de Leche” est également créé par le maire de Lima. Il consiste à fournir un verre de lait quotidien à chaque enfant, personne âgée nécessiteuse et femme enceinte.

Cette présentation n’est qu’un résumé simplifié d’un mouvement ayant commencé il y a plus d’un demi-siècle. Il ne détaille pas l’intégralité d’une réponse citoyenne devant des difficultés communes. Si vous souhaitez approfondir, voici ci-dessous les sources qui m’ont permis de réaliser cette présentation résumée :
Livre réalisme populaire un nouveau modèle de société au Pérou de Nicolas Fourtané : https://www.persee.fr/doc/ameri_0982-9237_2000_num_25_1_1470
Libre les Cuisines collectives dans les communautés urbaines marginales au Pérou de Jeanine Anderson : https://books.openedition.org/iheid/7125?lang=en#anchor-bibliography
Mon expérience
J’ai donc eu l’opportunité d’être bénévole au “comedor popular” de Tupac Amaru Vegueta à côté de Huaura.

L’association a aménagé dans un nouveau bâtiment pendant la période du COVID. On y trouve une cuisine, des lieux de stockage et bien évidemment une salle à manger.


De nombreuses évolutions ont été apportées depuis sa création.

Mais c’est également un lieu de partage d’événements et d’informations.

Tous les jours nous avons servi environ 40 repas. Certaines personnes emportent leur repas et d’autres le consomment sur place. Il existe également un partenariat avec le collège voisin. Lors de mon passage, c’était les vacances scolaires. Hors vacances scolaires, ce sont 80 repas qui sont servis.
Une partie des denrées non périssables sont fournies par la commune (riz, lentilles, conserves de poisson…). Pour le reste des aliments, chaque début de journée démarre par les courses. Il s’agit d’acheter l’ensemble des produits frais (légumes, viande, poisson, œufs…).
Le service commence à 11h30. Chaque menu est composé d’une soupe, d’un plat principal et d’eau (l’eau du robinet n’est pas potable au Pérou). Un menu coûte 5 soles (1,3 euros). Le prix peut varier en fonction du comedor. Certaines personnes bénéficient d’un tarif préférentiel.
Les personnes viennent majoritairement sont les familles avoisinantes. Mais il y a également des clients ponctuels comme les conducteurs de bus. Et bien évidemment les collégiens.
Tous les jours des bénévoles du comedor vont également apporter des repas aux personnes ne pouvant pas se déplacer. C’est souvent l’occasion de prendre des nouvelles.
Dans cette organisation bien rodée, mon rôle consistait à aider dans les tâches quotidiennes (ménage, cuisine, service…). J’y ai découvert un endroit où l’on peut avoir un repas pour un prix abordable et également un lieu de convivialité et d’échange entre voisins.
Comme de nombreux quartiers, l’eau courante n’arrive pas jusqu’au comedor. Un camion de la mairie fait donc le tour quotidiennement pour s’assurer que l’ensemble des foyers aient de l’eau. Et heureusement car quand on n’est pas attentif, on se retrouve vite sans eau en plein milieu de la vaisselle !

J’ai également découvert, autour de Huaura, une région productrice de nombreux fruits et légumes. Et évidemment de nombreux marchés où les producteurs viennent vendre leurs récoltes.


Cependant d’après une étude réalisée entre 2019 et 2022 par l’ONG Action Contre la Faim, 16 millions de personnes souffrent de la faim au Pérou, le pays comptant 34 millions d’habitants ( Source : https://www.actioncontrelafaim.org/a-la-une/lamerique-latine-et-les-caraibes-la-seule-region-du-monde-ou-linsecurite-alimentaire-diminue/ ).
Vous pouvez également découvrir un article sur une cantine populaire à Lima soutenue par Action Contre la Faim : https://www.actioncontrelafaim.org/a-la-une/des-cantines-populaires-pour-lutter-contre-linsecurite-alimentaire/
Cette expérience de bénévolat a été riche en rencontres humaines, une occasion unique d’échanger avec des péruviennes et péruviens. La découverte de ce concept de “comedor popular” dépassant l’aide alimentaire traditionnelle, est bluffante en termes d’innovation sociale, de solidarité et de défense des droits. Elle m’a aussi permis de comprendre la tradition et la culture d’entraide communautaire des populations des Andes ayant migré vers les villes.
HERIN
C’est un plaisir de lire ton texte.
Cet engagement, mème de courte durée, ne peut te laisser qu’une vision concrète d’un pays aux conditions de vie difficiles pour la plus grande partie de la population Péruvienne.
(Au Tchad, j’ai beaucoup travaillé avec Action Contre la Faim sur les puits à 80/100m et forages). Une ONG sérieuse et efficace).
Bonne continuation.